samedi 2 juillet 2016

Coup de flippe



La Chouette est de nature anxieuse. Voire angoissée. C'est de famille. Pour le moment, je suis remontée jusqu'à mon arrière-grand-père paternel. Mais ça vient sûrement de plus loin...

C'est souvent pénible, parfois handicapant, et toujours épuisant. La faute à ma grande imagination, qui s'emballe très facilement. Avec les années, j'ai appris à gérer à peu près bien. La peur est toujours là, mais je sais que ce n'est "que" de la peur. J'ai toujours beaucoup de compassion quand je rencontre quelqu'un comme moi. Je sais que ça peut sembler ridicule et que c'est pénible pour l'entourage. Mais ça n'est pas un choix, on naît comme ça. En fait, on aurait été top il y a quelques milliers d'années, quand le danger rôdait en permanence, et qu'il fallait être à l'affut de tout. On aurait fait des gardiennes de grotte du tonnerre ! On aurait sauvé toute notre tribu ! 

Aujourd'hui, c'est beaucoup moins adapté, mais ça peut encore être utile. La dernière fois que j'ai emmené Grande Chouette au cirque, par exemple. Il y avait un spectacle de fauves. Dès que j'ai vu l'affiche, le scénario s'est déroulé dans ma tête : le grillage qui se déchire, les tigres qui s'échappent et se jettent sur les spectateurs, le sang partout... J'ai donc soigneusement choisi nos places dans les gradins (on n'allait quand même pas se mettre au premier rang). Et j'ai très vite échafaudé un plan : j'ai repéré une brèche dans la toile de tente, par laquellle on pourrait s'échapper rapidement. Après, même pas besoin de courir puisque les tigres seraient occupés à dévorer les spectateurs moins prévoyants. Le spectacle s'est bien passé. Bien sur, je n'en ai pas trop profité ; je surveillais notre sortie de secours, prête à saisir Grande Chouette et à me mettre à courir. C'est fatigant, d'être anxieuse. Mais si un tigre s'était vraiment échappé, on s'en serait sorties.


Oui, bon... Je n'avais pas de photo de vrai cirque...

En général donc, j'arrive à vivre avec. Même s'il suffit d'un coup de stress, d'une période de fatigue, ou d'un évènement inattendu pour que l'angoisse reprenne le dessus. Mais ça va mieux. Je progresse.

Dernier exemple en date à cause du Hibou (oui je dis "à cause", il faut bien que ce soit la faute de quelqu'un). Mercredi, il avait un rendez-vous en ville. Il partait à 13 h, pour revenir vers 16 h 30. Pour une fois, je ne me suis pas fait de flippe à l'avance, du type accident de car ou écrasage de piéton. J'étais occupée avec les Mini-Chouettes, ce qui m'empêchait de penser à autre chose qu'à la recherche de doudou (Cochonnerie avait disparu ! je vous rassure, on l'a retrouvée) ou au remplissage de la piscine (une patageoire en plastique, mais les Mini-Chouettes sont ravies). Tout allait donc bien. Après une petite visite chez Papy et Mamy, il est 17 h 30, on prend le chemin du retour.

Quand on arrive à la maison, tout est fermé. Le Hibou n'est pas rentré. Bon, ça ne fait qu'une heure de retard. En plus ce sont les soldes, si ça se trouve il a profité de son rendez-vous pro pour aller faire le plein de jeux vidéos. Enfin, ça, c'est ce que je répond à Petite Chouette qui pleurniche "J'espère que Papa va bien..." "Mais oui Petite Chouette ! " (pourvu qu'elle n'ait pas hérité de mes gènes, pourvu qu'elle n'ait pas hérité de mes gènes).

Les minutes tournent, et dans ma tête, ça commence aussi :

Soft : et s'il m'avait quitté pour une autre qu'il serait allé rejoindre ? Si, c'est soft là, il est encore vivant. Je le savais bien, que j'étais trop pénible (oui, la culpabilité se joint souvent à l'anxiété).

Réaliste : il n'y aurait pas une grève contre la loi travail aujourd'hui ? Si ça se trouve, il est bloqué dans une manif. Pourvu qu'il ne se soit pas pris un coup de matraque ou qu'il n'ait pas fait une allergie aux gaz lacrymogènes ! (oui, ça ne reste pas réaliste très longtemps).

Glauque : plus le temps passe, et moins j'arrive à trouver de théories plausibles. J'en suis à l'infarctus foudroyant (l'hypothèse du coup de chaleur est déjà très loin) quand je me dis que je devrais peut-être appeller la police, histoire de savoir si on ne leur a pas signalé un problème. 

Bizarrement, imaginer ce que je pourrais faire me rassure : là au moins, j'ai l'impression de contrôler la situation. Je commence donc à préparer ce que je vais dire aux forces de l'ordre, et ça démarre :
"Allo, la police, c'est la Chouette à plume. Excusez-moi de vous déranger, mais mon mari a disparu."
"Et depuis combien de jours, madame ? "
"Euh, non, en fait il est parti à 13 h. Il devait rentrer à 16 h 30 et là il est 18 h, quand même."

Léger blanc. Le policier cherche quoi me dire.
"Il a des problèmes de santé votre mari ? "
"Euh, non. En fait il est parti tout à l'heure en bus et..."
"En bus ? "
"Oui, il ne conduit pas."
"Et vous avez essayé de le joindre sur son portable ? "
"En fait, il n'a pas de portable."

Et là, mon esprit disjoncte totalement. J'imagine le branle-bas de combat au commissariat.

"Roger, fais déclencher le plan d'urgence, on nous signale un individu dangereux ! "
"Dangereux comment ? Style terroriste ? "
"Non, pire : un homme qui ne conduit pas et qui n'a pas de portable ! "
"Appelle le RAID Norbert, ça nous dépasse là ! "

Je renonce donc à appeler le commissariat, je ne vais quand même pas risquer d'envoyer le Hibou en prison !

J'envisage d'appeler les hôpitaux de la région (pour les morgues, on verra plus tard) tout en préparant le repas, quand la clé tourne dans la serrure.

Je me précipite au devant du Hibou et aboie : "Ah, ben quand même ! J'hésitais entre appeler la police ou les hôpitaux là ! " (et après je m'étonne qu'il traine avant de rentrer).

"Et tu as appelé qui ? " me demande-t-il tranquillement.

"Ben, personne. En fait, j'ai commencé à en faire un article pour mon blog dans ma tête."

"Bien, tu progresses..."

Qu'est-ce-que je vous disais...



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